Elle en avait plus qu'assez...de cet optimiste en puissance! A chaque fois qu'elle avançait un argument, il le balayait d'un revers de main comme on balaye un château de cartes. Lui, il voyait la vie aux couleurs de l'arc-en-ciel, elle... la voyait en noir et blanc. Le verre à moitié plein pour lui et le verre à moitié vide pour elle. Quand elle se plaignait de ses douleurs, du temps maussade, de ses crampes d'estomac, il lui répondait que les remèdes existent, qu'après la pluie vient le beau temps etc, etc... En son for intérieur, elle le maudissait de toutes ses forces. Sa joie de vivre la démoralisait, son exubérance lui tapait sur les nerfs, et lui, impassible, ignorait superbement son humeur morose et ses coups de cafard.
Oui vraiment, elle en avait plus qu'assez de cet éternel insouciant à qui tout sourit! Oh, ce n'est pas à elle que ça arriverait de se lever de bonne humeur, la mine réjouie au saut du lit. Non, elle était abonnée à la mine de papier mâché, au teint brouillon et aux points noirs sur le nez ! Chaque réveil était une épreuve, sortir de son lit lui demandait un incommensurable effort. Elle se traînait comme une âme en peine dès le petit jour, tandis que lui, sautait à pieds joints dans le quotidien et proclamait à pleins poumons que la vie est belle et mérite d’être vécue !
Il lui arrivait de penser sournoisement qu'un jour le vent tournerait et qu'à son tour il connaîtrait l'angoisse, l'incertitude, la peur du lendemain.
Il deviendrait, pourquoi pas... un pessimiste dans toute sa splendeur !
Cricri
Elle ne se souvenait pas avoir souffert d’un choc salvateur à la tête. Que s’était-il donc passé pour que ce matin-là elle décidât de se lever, pas comme d’habitude en remettant de minute en minute le moment où elle poserait un pied hésitant, puis l’autre, sur le parquet de la chambre ? Elle se surprit à se redresser soudain, les idées claires, le visage détendu, et à presque sauter du lit, mue par un entrain qu’elle avait perdu depuis bien longtemps. Sa journée se déroula dans la joie, la détente, colorée, agrémentée par une montagne de projets. Elle délaissa même le congélateur pour faire quelques emplettes et ressortir un des livres de recettes qui sommeillait dans la bibliothèque. Elle apprécia l’odeur sympathique qui se répandait dans toute la maison et même jusque sous les narines de la voisine. Demain elle irait s’inscrire à la médiathèque, à la chorale, à … Ses projets l’étourdissaient agréablement. Elle reprendrait surtout les cours de gym abandonnés depuis plusieurs mois, elle prendrait un abonnement au ciné, elle… Ah ! Voir du monde, d’autres têtes. Et lui ? Sa tête à lui ! Elle n’avait pas du tout pensé à lui depuis ce matin miraculeux. Lui…
Il fut stupéfait de retrouver une épouse épanouie, gaie, enjouée. Il n’en fit aucune remarque, mais cela lui occasionnait comme une gêne, de plus en plus pesante au fil du temps. Elle l’ignorait royalement, l’assimilait au mobilier. Chaque jour la transformait visiblement, la ressuscitait, la revivifiait. Adonnée à une multitude d’occupations qui la faisait rentrer souvent tardivement le soir, elle vivait enfin une vie qui méritait d’être vécue. Lui, il n’avait plus besoin de se pavaner et de montrer sa superbe : elle ne faisait plus attention à lui.
Au lieu de se réjouir de cette mutation, il commença à avoir des doutes, ses nuits furent de plus en plus perturbées. Elle, insouciante, était la première levée. De bonne humeur elle chantonnait en gagnant la cuisine pour le petit déjeuner, ce qui avait le don de l’exaspérer. Elle jetait sur lui un regard à la fois compatissant et méprisant. Comment pouvait-on se laisser aller à une telle mélancolie ? Lui pensait qu’il n’avait pas mérité une telle attitude désinvolte, une telle ingratitude. Elle ne voyait même pas à quel point il souffrait.
Pourtant, derrière ce rictus dépressif, se cachait l’intime espoir de la vengeance : elle finirait bien par connaître comme lui l’angoisse, l’incertitude, la peur du lendemain. La roue, c’est sûr, finirait par tourner !
Cloclo
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